J’ai 28 ans. Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit d’histoire. J’ai plutôt écrit des travaux universitaires en anglais puis j’ai eu un tas de pépins et une vingtaine de jobs pourries. Là, je veux recommencer à écrire. Un journal annonce un concours d’essais et d’histoires courtes. Je ponds quelque chose de simple, personnel, ténu comme une flamme sur le point de s’éteindre. J’ai l’impression de creuser très loin, de secouer une faculté d’imagination qui s’est endormie.
Il faut que je trouve quelqu’un, quelqu’un qui me dise si j’ai encore la main, si je peux encore rêver. Je décide de téléphoner à un grand éditeur pour qu’il me guide. Un assistant me répond et, quand je lui demande un rendez-vous avec Le Grand Éditeur, il me le passe au bout du fil sans transférer l’appel. Alors, ils ne sont que deux dans ce bureau grand comme ma chambre ou quoi? Le Grand Éditeur accepte gracieusement de me rencontrer avec mon texte. Je débarque à Outremont dans son grand appartement au cachet indéniable. Crisse, l’orienteur m’avait dit qu’il n’y avait pas d’argent à faire en édition. Je trouve qu’il s’est bien débrouillé, Le Grand Éditeur. Ça doit être parce qu’il est grand, justement. Je scrute le visage du Grand Éditeur qui lit mon texte. Il sourit. Il trouve ça sympathique, comme les chroniques d’opinion de La Presse du samedi, qu’il dit. Et puis, je ne fais pas trop de fautes. Il explique que lorsqu’il reçoit des manuscrit à la maison d’édition, 80% des textes sont bourrés de fautes et il les jette alors tout de suite aux poubelles. Avec l’orthographe dans la poche, je fais partie du 20% qui reste. C’est déjà ça de pris. Le Grand Éditeur me reconduit à la porte en me disant qu’il est content d’encourager la relève. La relève! Je m’en vais contente. J’ai regagné un peu de confiance. Je vais écrire à nouveau.
Depuis quelques mois j’ai un travail de nuit. J’aime travailler de nuit car j’ai l’impression de contempler le monde d’au-dessus. Il se passe plein de choses la nuit. Les insomniaques vivent leur noctambulisme, les gens pleurent en silence, les toxicomanes vont se payer une virée, les émotions de la journée retombent et les éprouvés se confient. À travers les crises, je rumine mes idées. Je n’ai pas gagné le concours du journal, finalement. Mais j’ai décidé, entre deux insomniaques, d’écrire un roman.
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