J’ai cinq ans. Je ne sais ni lire ni écrire encore mais j’ai vraiment, vraiment hâte. Ma mère m’emmène à la banque avec elle où elle signe des chèques. Elle fait des ribambelles sur le papier avec le stylo, vite, vite, vite. Wow! J’aimerais écrire vite comme ça un jour, en lettres attachées, faire des petites boucles. Quand je ne suis pas à la maternelle le matin, je fabrique des livres l’après-midi. Je prends des feuilles blanches que je plie en deux, je les broche dans le milieu et je dessine une histoire dedans. Pour que ça ait l’air d’un vrai livre, j’examine un ouvrage pour adulte. Les ‘A’ et les ‘E’ reviennent souvent. J’écris dans le haut de mes images : AAAAAAEEEAAAAAAAEEEEEA. L’année suivante, je commence ma première année. Là, c’est vrai pour vrai, je vais apprendre à lire et à écrire. L’alphabet, les syllabes, les sons entourés au crayon de couleur, ‘ou’ c’est rouge, ‘eu’ c’est bleu.
Un jour, notre enseignante nous annonce que nous en avons terminé avec les syllabes et les sons. Nous savons lire. On peut lire TOUT CE QU’ON VEUT. Pardon? Je croyais qu’il y avait une sixième année ici. Si on sait lire, qu’est-ce qu’on va faire dans cette école pendant toutes ces prochaines années. Et puis, on n’a même pas fini notre première année, la neige vient de fondre. Ma mère m’inscrit à la bibliothèque. J’ouvre un livre et je lis : ‘La mère d’Arthur était anglaise, elle se nommait Mme Milligan. Elle était veuve, et je croyais qu’Arthur était son seul enfant –mais j’appris bientôt qu’elle avait eu un fils aîné, disparu dans des conditions mystérieuses.’ * Ayoye, c’est vrai, hein, je peux lire ça. J’en prends un autre : ‘Emilie la vieille baignoire reléguée aux oubliettes reçoit de la fée Porcelaine un don extraordinaire, celui de marcher, de se déplacer sur ses pattes. Devant l’impossibilité de retrouver sa place initiale, Emilie se fait des amis et prend la clé des champs, le chemin de la liberté.’ ** Le professeur avait raison : je peux lire TOUT CE QUE JE VEUX! Et je peux mettre de vrais mots dans mes livres brochés! Je ne sais pas ce que je vais faire pendant le reste de mon primaire parce qu’en ce qui me concerne, on peut bien me lâcher dans la nature, je peux lire et écrire.
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